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Open Source Publishing – Graphic Design Caravan

Le grec, c’est du chinois

Conversations · Type · May 25th, 2007 ·

Conversation avec Pierre-Luc Auclair (Déjàvu) et Nicolas Spalinger (OFL)

pierre_luc.jpgnicolas.jpg

SIL_deja_vu.mp3
(27 mn – 25 Mb)

Extrait d’une conversation avec Pierre Luc Auclair, graphiste et collaborateur dans le projet de police Déjà vu, et Nicolas Spalinger, bénévole de la SIL, équipe fontes libres Debian et Ubuntu, OFLB.
En français dans le texte, avec quelques questions posées en anglais.
Ou l’on parle de polices de caractère libres, de travail typographique collaboratif, d’apprentissage et de licences & standarts.

Liens:
Déjà vu, SIL, OFL, Gentium font, Andika font, Typophile

Interview: Projet Dejavu et typographie libre et collaborative

P-L: Pierre-Luc Auclair (Typographe Dejavu, Graphiste)
N: Nicolas Spalinger (Bénévole de la SIL – Equipe fontes libres Debian & Ubuntu – Open Font Library)
H: Harrisson
F: Femke

H: Tu travailles sur la fonte Déjavu (http://dejavu.sf.net) c’est ça?

P-L: Oui c’est ça

H: Qui est un projet entièrement open source?

P-L: Oui, c’est ça.

H: Et ça fait déjà un moment que cette fonte existe, non?

P-L: Ca fait… Je ne pourrais pas dire depuis combien de temps exactement, ce qui est sûr c’est qu’avant c’était une fonte de Bitstream (http://www.bitstream.com) qui est sortie ou plutôt qu’ils ont donné au domaine du libre. Et depuis ce temps-là, des gens ont ajouté des fonctionnalités, des choses comme ça-là, plusieurs caractères, des nouveaux languages, ajusté le kerning (http://fr.wikipedia.org/wiki/Kerning), dans le fond ajouté des éléments à la police au complet pour la rendre utilisable.

H: OK donc rajouter des éléments?

P-L: Oui.

H: Chez Bitstream, quelle a été la motivation de lâcher des fontes?

P-L: Alors ça je ne sais pas.

Nicolas: Ca été un partenariat avec la fondation GNOME (http://foundation.gnome.org, http://www.gnome.org/press/releases/bitstreamfonts.html) si je peux m’immiscer dans la conversation.

H: Oui, oui, c’est bien.

P-L: Moi je ne suis pas au courant de ça.

N: Il y a des négociations qui ont été faites entre la fondation GNOME et Bitstream le fondeur, avec des gens comme Jim Gettys (http://en.wikipedia.org/wiki/Jim_Gettys) qui était membre du bureau de la fondation. L’idée c’est d’avoir une famille globale avec suffisamment de…

P-L: …suffisamment de caractères pour supporter toutes les langues dans Linux avec une seule famille…

N: oui, avoir une famille suffisamment vaste, complète.

H: En faire une fonte système?

N: Enfin oui, système au sens où ça serait la fonte par défaut. Et donc ça a pris des mois quand même pour faire la négociation, entre les termes que la fonderie voulait et ce que la fondation GNOME essayait d’arracher comme droits, de modification notamment. Et donc moi j’ai suivi ça un petit peu. Parce que en même temps nous, dans le cadre de la SIL (http://scripts.sil.org), on réfléchissait aussi à la meilleure stratégie pour faire ça. L’idée c’était d’avoir quelque chose d’assez riche, de bonne qualité, avec du hinting – des instructions – qui soit dédié à un affichage correct sur le bureau.

H: Vous avez eu le choix entre différentes fontes ou bien c’est Bitstream qui vous a proposé juste celle-là?

N: Alors je sais pas vraiment, j’étais pas directement impliqué dans le cadre de la fondation GNOME, j’ai rejoint le projet après.

P-L: Ah oui, il connaît plus ça que moi.

N: Ha ha, non!

N: Je sais qu’ils ont approché d’autres fonderies, mais c’est Bitstream qui a offert ce qui était le plus intéressant.

H: Ah oui, donc il a eu une négociation?

N: Oui il y a eu une négociation qui a eu lieu. Donc il y a vraiment de la part du fondeur une stratégie… lls veulent s’acheter une bonne image, ce qui est légitime et ils veulent aussi protéger quelque part leur nom. Le coeur de la négociation c’était avoir des droits de modification, pour que les gens de la communauté, les typographes de la communauté puisse la modifier, l’étendre, mais que la réputation de Bitstream en tant que fonderie soit plus ou moins protégée. Donc il y a un espèce de point central, de « nexus », qui a été créé entre le droit de modification et le nom même attaché à la police, voilà.

H: Et quand on voit la license, c’est en effet toujours un copyright Bitstream avec droit de modification (http://www.gnome.org/fonts/)

N: Voilà, c’est un droit de modification, donc quand la modification a lieu, le faut que le nom soit changé, et dans le nom même de la police il y a le nom de la fonderie, ce qui est assez fréquent malgré tout. Donc le nom c’était Bitstream Vera et ensuite il y a les variantes. Il y a eu une grosse « press release » puisque c’est un gros pas en avant. Et donc ensuite, il y a toute une équipe qui s’est mis à travailler sur ça, il y a eu plusieurs branches de Vera et, au bout d’un certain temps, la branche la plus importante – Dejavu – a re-mergé les travaux qui ont été faits dans les autres branches. Sur le site de Dejavu il y a l’historique un petit peu des autres branches qui ont été faites (http://dejavu.sourceforge.net/wiki/index.php/Bitstream_Vera_derivatives). Il y a eu une branche par exemple pour les caractères en Gallois, et pour d’autres pays en d’Europe par exemple. Aussi du travail autour des capacités OpenType (http://en.wikipedia.org/wiki/OpenType)…

P-L: oui des capacités Opentype…

N: …pour les polices intelligentes, ce genre de chose, etc. Ce qui était impressionnant, moi, j’ai observé un peu le projet Dejavu, j’ai pas vraiment contribué, mais c’est la rapidité avec laquelle le projet a avancé.

P-L: et dans le fond, c’est probablement aussi parce qu’il y a une release tous les mois.

N: Oui c’est basé sur un rythme de release actif, tout ce qui est prêt est disponible. Il y a aussi une roadmap bien définie, les outils sont là: outil de révision de contrôle, mailing-list, wiki. L’initiateur du projet c’était Stepan Roh (http://www.srnet.cz/~stepan/en/), et ensuite d’autres personnes.

P-L: Je pourrais pas vraiment donner de noms.

N: Au bout d’un moment il a un peu lâché le projet et a fait d’autres choses mais il a mis en place l’infrastructure, mais là, depuis quelques temps, il est revenu. Et les leaders actuels du projet c’est Denis Jacquerye (http://dejavu.sourceforge.net/wiki/index.php/Denis_Jacquerye) et Ben Laenen (http://dejavu.sourceforge.net/wiki/index.php/Ben_Laenen), je crois, mais il y a plein de monde, plein d’autres gens, la liste des contributeurs est assez vaste. Ben Laenen a d’ailleurs sorti une police musicale, c’est celle qu’on à montré hier. (Euterpe: http://www.openfontlibrary.org)

P-L: Ben moi je les connais avec leurs nicks IRC: lui c’est eimai.

N: Oui eimai et moyogo.

H: Elle est assez bien dessinée en plus, elle est assez jolie.

N: Ce qu’ils ont fait aussi c’est travailler sur un certain nombre de scripts de gestion des fichiers sources. Donc l’outil de base, c’est fontforge (http://fontforge.sourceforge.net), donc je ne pense pas qu’il y en ait qui utilisent des logiciels restreints, normalement tout le monde utilise fontforge.

P-L: Oui toute la source doit rester au format fontforge.

N: Pour faire la construction.

P-L: Quand il a y des modifications pour faire l’import dans la branche principale ça prend absolument le fichier source fontforge pour l’insérer dedans.

N: Il y a aussi du travail aussi sur les instructions, tout ce qui est du positionnement, les ligatures, ils sont assez en avance par rapport aux autres projects collaboratifs. Moi j’ai vu aussi qu’il y avait des scripts pour avoir les statistiques de la couverture Unicode (ttp://www.unicode.org) du SFD (http://fontforge.sourceforge.net/sfdformat.html) par exemple.

P-L: Ca aussi c’est sur le wiki

N: A chaque fois qu’il y a une release, dans le tarball il y a ce quiest couvert par bloc, donc il y a un pourcentage de couverture Unicode par bloc et on voit que ça monte vite, il y a ce qui est prévu par la suite, il y a un changelog. C’est assez riche au niveau descriptif et c’est très ouvert comme approche. Et donc l’utilisation de subversion (http://subversion.tigris.org/) comme dépôt de sources pour travailler en commun dessus. Donc il y a un canal IRC (http://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_Relay_Chat) et plusieurs mailing-lists (http://dejavu.sourceforge.net/wiki/index.php/Dejavu-fonts_mailing_list).

P-L: Récemment il y avait quelqu’un qui essayait de refaire le script Grec, je ne sais pas vraiment ce que ça a donné, je ne me suis pas tenu au courant.

N: Alors ça j’ai pas suivi non plus.

P-L: Il avait beaucoup posté son travail sur Typophile, le site web (http://typophile.com/).

N: C’est un site web communitaire, vous connaissez peut-être oui?

P-L: Là-bas il y a beaucoup de gens, beaucoup de professionnels de la typographie, qui leur ont donné des exemples, des experts en typographie qui ont donné leur avis sur comment le projet avançait pour le script Grec. Il ont donné des conseils. Il y a eu un gros débat: est-ce qu’on va plus vers une esthétique du style romain ou alors est-ce qu’on va plus vraiment vers une esthétique grecque locale? Ca c’est toujours un problème, c’est la même chose aussi j’imagine pour les scripts chinois et les scripts japonais.

N: Connaître le degré de sensibilité culturelle pour un bloc particulier Unicode de la police, ça c’est très très dur. Même les meilleurs designers ne peuvent pas avoir une sensibilité suffisante. Plus la police est riche, plus elle couvre de blocs, plus c’est dur justement. Parce qu’il y aura forcément des tensions. Certains blocs sont communs à différents styles. C’est là où ça devient dur d’avoir dans la même police et mettons du cyrillique qui doit avoir un style pour une communauté linguistique qui parle une une langue dans laquelle il y une transcription cyrillique et les Russes qui préfèrent ça comme ça. C’est là où ça devient complexe pour une famille aussi riche comme Dejavu. Ce qui a été fait récemment, c’est une décision qui a été prise, c’est d’avoir une sous-famille Dejavu qui s’appelle LGC, pour Latin Grec Cyrillique pour éviter d’avoir tous les styles ensemble.

H: C’est d’enlever le latin des autres blocs.

N: Puisqu’ils sont quand même assez proches. Il y a du travail qui a été fait au niveau des blocs Arabe et Hébreu.

P-L: il y avait des problèmes avec la baseline qui était pas la même.

N: Il y a des problèmes techniques et aussi des problèmes d’expression de styles. L’avantage vraiment de Dejavu c’est que ça pousse le reste de la « pile » logicielle autour des polices de caractères. Il y a certains mainteneurs comme ceux de Pango (http://www.pango.org) ou de Firefox (http://www.mozilla.com/products/firefox/) qui se disent, « Woouah les typographes de Dejavu exposent encore nos bugs, ahh ».

P-L: Ca arrive assez assez fréquemment. Ha ha ha.

N: Ca prouve qu’il y a une activité assez formidable.

P-L: C’est vrai mais pour revenir aux locales (locl), j’avais beaucoup de difficultés à me mettre dans la peau d’un typographe designer en Grec, un typographe designer en Cyrillique, pour moi personnellement je ne le lis pas, c’est du Chinois, je sais pas du tout ce que c’est. Pour moi, c’est plus une icône qu’un caractère de texte.

N: C’est ça la difficulté en fait. Beaucoup de designers dans la SIL (http://scripts.sil.org/TypeDesign) doivent s’entourer de gens qui connaissent le script pour faire quelques chose de culturellement approprié.

P-L: Parce que si on n’est pas natif dans le script, c’est difficile de dire : est-ce que ça c’est une bonne légibilité dans le script ou est-ce que c’est vraiment merdique.

N: C’est sûr.

H: Est-ce que vous avez des collaborateurs justement Arabes, Chinois ou Japonais, des gens qui sont vraiment dans leur langue?

P-L: Des collaborateurs réguliers ou juste simplement des observateurs?

H: Les deux je dirais…

P-L: Probablement plus des observateurs.

N: Des gens qui rapportent des bugs sur la liste en disant «oh là! il faut pas que ça soit comme ça !»?

P-L: Mais des typographes japonais chinois, je pense pas.

N: Des gens qui envoient des patchs?

H: Des gens qui dessinent carrément des caractères et autres?

N: Sur le site de Dejavu c’est indiqué plus ou moins leur status, si leur travail a été repris via un merge ou s’il sont vraiment actifs. C’est aussi ce qu’on essaie d’encourager dans le cadre de la logique de l’Open Font licence (http://scripts.sil.org/OFL) avec le FONTLOG (http://scripts.sil.org/OFL-FAQ_web#00e3bd04), cet espèce de changelog dédié à la typographie et au design de polices, c’est vraiment de décrire les modifications parce que la plupart des polices propriétaires qu’on a, il y a pas de descriptions, c’est une release finale et voilà.

P-L: Tandis que dans Dejavu c’est un travail constant, mais ça crée aussi des problèmes, si quelqu’un crée un texte avec la police, si tu changes la taille des caractères, si tu changes l’espace entre les lettres, ça va nécessairement tout changer. Donc est-ce qu’on fait un changement pour le mieux dans un certain caractère ou on le garde pour garder le support antérieur?

N: Ca c’est la décision du changement. Ce que je voulais dire, c’est le fait que les changements soient décris très précisément c’est une bonne chose, parce que souvent dans les fontes propriétaires, on ne sait pas ce qui se passe. Voilà, c’est la nouvelle version si ça marche vous êtes content mais si ça marche pas venez nous voir, et donc le changelog est vraiment précis: c’est à dire que telle ou telle personne a ajouté tel bloc ou a fait ce changement-là.

F: (I will ask my questions in English otherwise it takes too long, And you speak French). This way of working is quite different than the way than historically typographers have worked. There seems to be a history of say a lonely man working on their internal piece, and the way you describe the process of designing Dejavu is completely opposite. So, how do you think this is visible or legible in the typeface itself or in the practise of doing typeface design?

N: Il y a un fait fondamental, je pense, c’est la vitesse à laquelle les modifications sont faites. Mais je sais qu’en discutant avec Victor Gaultney (http://www.sil.org/~gaultney), il y a des expérimentations qui ont été faites, en tous cas dans les écoles de dessin de polices, de typographies parfois ils mettent comme ça des étudiants ensemble en disant « travaillez sur une police et ce soir vous nous montrerez ce que vous avez fait ensemble ». Mais le fait d’utiliser ça de manière distribuée via un gestionnaire de révision de contrôle, un canal IRC ou une mailing-list c’est quelque chose qui se fait que depuis quelques mois, quelques années, avec Dejavu et puis d’autres projets que la SIL lance (http://scripts.sil.org/OFL_fonts). Mais c’est vrai qu’initialement c’est quand même un art personnel, élitiste.

P-L: Mais quand même, j’ai lu assez souvent que les typographes, il y a en plusieurs qui ne sont pas vraiment excellents pour faire l’espace entre les lettres, mais ils sont très bons pour faire le lettrage. Certains vont faire le lettrage, un autre va aider à faire l’espacement entre les lettres. Donc c’est souvent un travail collaboratif mais peut-être pas au même niveau que dans Dejavu.

N: Pas commun, c’est-à-dire, je fais mon truc, je te le passe et tu fais ton truc.

H: C’est pas une fragmentation des tâches?

P-L: C’est plus une ligne de montage que de la collaboration.

N: D’accord, je vois.

F: I’m also curious, because many type designers if you hear them speak about their typefaces, they link it – consciously or subconsciously to handwriting – to expression of let’s say the style of a person, in a way, like the way something is drawn, which is a very individual expression, and then if you think about the way you work on a typeface, you completly blow that up in a way. Or not?

N: Je pense qu’on retrouverait les styles communs des différents contributeurs quand même, c’est un peu la transparence d’un système de gestion de sources, on peut rajouter quelque chose mais les autres peuvent aussi le modifier aussi donc il faut qu’il se crée une certaine culture des modifications. C’est pour ça qu’il y a ce concept de roadmap, je ne pense pas qu’on perde vraiment la partie style.

F: Non, ce n’est pas perdre, ce qui m’intéresse c’est le changement dans la pratique de faire une lettre, de faire une courbe ensemble.

P-L: Mais il y a quand même le style du caractère qui s’impose aussi quand tu fais ce que tu fais, tu peux pas dire moi je fais le caractère, un script d’une certaine façon, dans le fonds c’est un peu comme ce qu’on a vu dans le documentaire Helvetica (http://www.helveticafilm.com/) hier soir. Il y en avait un qui disait qu’il y avait une espèce de systèmisation du caractère, donc les courbes et toute les parties du lettrage vont avoir une connotation dans une autre lettre. Parce que sinon si tu ne fais pas ça comme ça évidemment, ça va avoir l’air dépareillé.

N: Ca serait intéressant de voir un fichier README d’une police libre comme Gentium (http://scripts.sil.org/Gentium), pour voir quels sont les conseils qui sont donnés à ceux qui veulent envoyer des patchs, en terme de formats, en terme de style, en terme de recherche, etc. Le designer quand même reste maître, même si c’est toujours un projet ouvert, il reste maître de la légitimité d’un patch.

F: Maître?

H: Et vous avez des formations de typographie ou de graphisme?

N: Non, pas vraiment, mais ça m’intéresse.

P-L: Je suis designer graphique moi-même, mais j’ai pas eu de formation académique, mais c’est sûr que je lis beaucoup, probablement plus que la majorité des étudiants de design. Dans le fond, c’est sûr que j’aimerais avoir une éducation en tant que telle mais en travaillant on en apprend aussi.

N: C’est quand même beaucoup de choses à apprendre…

P-L: Mais c’est dur d’apprendre seul et de s’établir soi-même un plan d’apprentissage, d’avoir d’autres personnes qui apprennent avec toi, il faut que tu trouves tout toi-même.

P-L: Mais dans un plan communautaire c’est plus facile d’évoluer.

N: C’est pour ça qu’on a comme projet avec Dave Crossland (http://understandingdesign.co.uk/) et d’autres de rendre public les compétences par rapport à la typographie, ce qui était enseigné dans quelques écoles très très prestigieuses par une poignée de gurus, il faudrait que ça soit disponible plus largement.

H: Est-ce qu’il y a une entraide comme ça entre les designers sur les techniques de dessin, sur la manière de procéder? Graphique, je dirais, spécialement graphique?

P-L: C’est sûr qu’actuellement tout le monde à sa façon de faire, son procédé, si vous allez sur Typophile, les gens sont très ouvert pour aider les débutants qui commencent en design typographique, si vous avez des questions sur n’importe quoi, eux ils sont là pour vous aider. Il y a des professionnels qui travaillent chez Adobe, qui ont travaillé sur la spécification OpenType eux-mêmes et qui peuvent vous dire exactement ce dont vous avez besoin.

N: Il faut juste savoir poser sa question de la bonne façon.

H: En respectant leur hiérarchie?

N: Non, non un peu de diplomatie, c’est normal.

P-L: Le domaine typographique est encore beaucoup dans l’espèce de mentalité apprenti/maître, donc c’est souvent l’apprenti qui essaye de se mettre au niveau du maître.

F: For me, as I look at open source projects, and the different ways collaboration is organised, I find this again, this contrast with this stark hierarchy of master and…

P-L: Mais je crois pas que ça soit une hiérarchie explicite, mais plutôt une hiérarchie implicite, souvent celui qui contribue le plus c’est aussi celui lui qui connaît le plus donc c’est lui qui va aider le plus.

N: C’est la méritocratie quelque part, c’est aussi un plaisir pour celui qui connaît les choses de les partager. Mais c’est vrai qu’il y aura toujours ceux qui sont très bons, qui connaissent bien leur domaine et qui ont beaucoup d’expérience et ceux qui commencent juste. Mais il y a un échange. Il y a un plaisir d’échanger les compétences et les connaissances.

H: Et si tu es dans une tradition humaniste, d’effacement de prétention graphique pour un intérêt commun…

N: Pour moi personnellement il y a un but: qu’il y ait plus de systèmes d’écriture qui soient disponibles, que la qualité soit là, que les barrières qui empêchent certaines personnes d’accéder à l’écrit et à ce que l’écrit peut donner comme indépendance, comme autodétermination, etc, que ces barrières puissent s’effondrer. Il y a des recherches qui ont été faites en terme de lisibilité, par rapport à ceux qui apprennent à lire et à écrire par exemple. Plus la fonte est agréable à lire, plus les gens ont envie d’apprendre à lire. Notamment dans les contextes ou c’est des adultes qui apprennent à lire quand il y a des campagnes d’alphabétisation par exemple dans les pays en voie de développement. Il y a vraiment une recherche, si on fait ça avec telle fonte, les résultat seront vraiment médiocres mais si on fait ça avec une autre fonte, il y aura un intérêt, il y aura une passion, il y aura beaucoup plus de gens qui réussiront l’examen d’alphabétisation. Un des projets de la SIL c’est une police dédiée justement à l’alphabétisation, qui s’appelle « Andika » (http://scripts.sil.org/Andika) c’est du Swahili et ça veut dire « écrire ». Il y a une vrai dissociation qui est faite entre certains caractères qui sont peut-être trop proches les uns des autres surtout quand on commence à lire et à écrire il faut qu’il y ait le moins d’ambiguïté possible. C’est un design original mais c’est vraiment une fonte avec une richesse suffisante pour que ça soit disponible dans des langues qui utilisent des scripts complexes, certaines langues africaines aussi où il y a ce type de glyphe. Donc les designers attendent des spécialistes en alphabétisation d’avoir des retours pour améliorer encore le tir. C’est aussi une fonte qui a des variantes, comme ce qui commence à être fait aussi je crois dans Dejavu pour avoir des variantes en fonction du contexte. Parce qu’il y a des gens qui préfèrent un certain type de « a » avec un certain style, etc.

P-L: Donc c’est des « alterns »

N: Double story a, single-story a. Les ligatures, la manière dont les chiffres sont affichés là. Vraiment dans un but d’alphabétisation initiale mais comme c’est un design original il y a beaucoup de gens qui commencent à l’utiliser aussi pour du design comme ça.

H: Comme fonte de travail?

N: Oui, c’est une Sans Serif (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sans-serif) qui est un peu le pendant de Gentium, parce c’est fait par les mêmes designers. Il y a eu moins d’efforts par rapport aux inscructions pour l’écran. C’est plus directement pour l’impression mais bon si les linguistes peuvent trouver ça agréable aussi quand ils travaillent sur l’écran, c’est mieux. Mais ça prend plus d’énergie pour les instructions etc. Et puisque que c’est libre les gens peuvent y contributer s’il en ont besoin.

Je sais que certains leader de Déjavu réfléchissent aussi à la légitimité de passer à l’Open Font licence, mais ça ne s’est pas encore fait parce que en amont, Vera est encore sous ce copyright-là. Mais en fait on est en train de négocier, en tous cas il y a une réflexion qui se fait avec Bitstream et GNOME, pour qu’un nouvelle version de Vera sur laquelle ils ont travaillé sorte sour license OFL. Ensuite, comme Dejavu est un dérivé, les développeurs, les designers se rassembleront et voteront pour voir s’ils passent à l’OFL ou pas, parce que actuellement en terme de license il y a Vera et les dérivés de Vera sont licence Vera plus domaine public ou plus quelque chose d’autre. C’est pas vraiment défini quel est le statut des dérivés. Il y a vraiment une richesse sur laquelle on peut bâtir, mais on ne sait pas trop selon quelles règles. c’est un peu le flou. Donc l’idée de l’OFL c’est de clarifier la manière dont les dérivés fonctionnent. Le designer original de Vera s’appelle Jim Lyles (http://www.myfonts.com/person/lyles/jim/), on est en contact avec lui.

F: C’est donc c’est lui qui va décider?

N: Oui lui et sa boîte et ses directeurs. D’ailleurs dans la documentation qui est livrée avec chaque nouvelle release, chaque nouvelle sortie de Dejavu, on voit dans les statistiques de progression ce qui est original, ce qui a été fait par le designer de Bitstream et ce que les nouveaux designers ont ajouté. Donc on voit la progression.

H: Donc il y a un archivage à chaque fois?

N: Oui c’est vraiment décrit. Il y a peu de projets sont aussi décrits.

[…]

Là voilà le changelog, donc chronologiquement inversé. On voit, la première version qui a été donnée dans le cadre du travail à Reading, à l’Université de Reading, voilà quelques bugs qui sont réglés. C’est aussi la logique de dire « voilà les problèmes qui ont été réglés. Il existe des problèmes. » C’est pas comme beaucoup de logiciels propriétaires qui disent « il y a jamais eu de problèmes. Mais si vous achetez la version suivante il y aura plein de nouvelles fonctionnalités » et on vous dit pas tout ce qui a été corrigé. Et là, la source aussi qui est mise avec, ce qui est aussi important pour les polices libres. La définition d’une source pour une police c’est quelque chose d’assez vaste, ça peut être la base de donnée des glyphes, ça peut être les comportements contextuels, OpenType ou Graphite (http://graphite.sil.org), ça peut être les instructions, ça peut être un guide pour le design, c’est-à-dire voilà les choix qui ont été faits, ça peut être de la documentation des scripts pour la construction, pour les statistiques, etc. Voilà aussi « Fix some duplicates» etc. Voilà: « Anyone can create their own modified version ».

F: « using a different name »…

N: L’idée c’est de permettre le branchage: il y a le tronc commun, plein plein de branches peuvent pousser à partir de ce tronc-là, mais il ne faut pas que les branches se prennent pour le tronc. C’est possible qu’une branche puisse avoir plus de fonctionnalité que le tronc mais il ne faut pas que les choses se mélangent. Que les gens qui choisissent des fontes puissent bien identifier d’où ça vient. D’où l’intérêt aussi du changelog, c’est tout dans la description et dans la transparence.

F: Mais il y a déjà des branches?

N: Oui oui, il y a déjà plusieurs branches. Il y a des gens qui ont travaillé sur une version Hébreu, il y a des gens qui ont travaillé sur des langues du Népal je crois, des langues Indiennes aussi, en partant du design de Gentium.

F: So the original design remains but then other language sets are developped. Did you see say design versions, for example people that have adjusted all glyphs or decided to make it like Harrison did a Courrier or Sans-serif, a kind of style changes? C’est possible de faire ça?

N: Oui, c’est tout-à-fait possible, ça serait un changement plus complet, c’est-à-dire qu’on pourrait prendre quelque chose d’existant et repartir plus ou moins de zéro.

P-L: Tant qu’à y être, c’est aussi bien de redémarrer à partir de zéro mais avec une autre idée de ce qu’on peut faire avec cette police.

N: Si le style est vraiment différent c’est plus vraiment un dérivé. L’idée c’est aussi de pouvoir aussi peut-être réutiliser les scripts de statistiques et de construction, les choses qui font partie de cette source de fonte qui peuvent aussi être re-utilisées. Voilà les conseils qui sont donnés aux contributeurs, c’est dit que les branches peuvent exister et que le mainteneur original va continuer à travailler sur le tronc, « develop the canonical version », c’est un peu ça. « We warmly welcome contributions » voilà les conseils qui sont donnés, en terme de format, pour envoyer un patch, en terme de source, voilà qu’est-ce qui est recommandé. Pour les attributions aussi, ça c’est quelque chose qui va plus dans le coeur du mécanisme de license, on a le droit d’ajouter son copyright aux modifications que l’on fait. On hérite le copyright du tronc initial, on peut rajouter le bout qui couvre sa contribution personnelle, bien sûr on n’enlève pas le copyright ancien, mais si on veut reverser quelque chose au tronc ça se fait selon les règles de celui qui maintient le tronc. Dans le cas de Gentium, par exemple, le choix a été fait de remettre le copyright au nom de l’ONG en question. Bon les gens décident au coup par coup. Et donc voilà quand c’est dit là, c’est comme le fichier plans du projet Dejavu, quels sont les trucs sur lesquels on a déjà plus ou moins travaillé, si c’est déjà prêt c’est pas vraiment utile que vous y consacriez du temps puisque c’est déjà fait on va peut-être utiliser ce qu’on a déjà. Mais voilà ce sur quoi on n’a pas encore travaillé, voilà si ça vous intéresse, travaillez dessus, posez-nous vos questions, et on l’intégrera peut-être.

Ici on parle du travail sur le Cyrillique par exemple, un petit avertissement aussi: le format peut changer, le mécanisme de construction peut aussi changer. Il y a aussi la partie Acknowlegements, une espèce de liste qui peut grandir et qui est structurée. Savoir qui a fait quoi, qui a contribué et où et d’avoir les détails. C’est dans la même logique de ce qu’on disait hier dans la présentation pour les métadonnées, c’est utile pour un designer d’exposer ses données, de laisser un peu sa trace quoi. Ce qu’on veut faire c’est que pour les utilisateurs finaux on puisse aller facilement sur le site du designer, sur le site de son organisation peut-être, et de voir ce qu’il a fait dans ce cadre-là. Le fait d’apparaître c’est une bonne chose pour le designer, dans la logique de ne pas garder les choses secrètes et sous scellé, le fait de faire les choses en transparence c’est aussi bénéfique, c’est de la bonne pub, la construction d’une bonne réputation.

Transcrit par Nicolas Spalinger avec quelques corrections mineures pour clarifier les phrases et ajout des URLs pour un meilleur contexte et une meilleure compréhension du mouvement des fontes libres.
Merci à Harrisson et Femke pour leur intérêt pour la typographie libre et collaborative et leur travail de couverture du Libre Graphics Meeting 2007 à Montréal.
Cette transcription est © 2007 Nicolas Spalinger et placée sous licence CC-BY-SA.

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